Présidentielle 2017 : Les candidats face aux enjeux de la solidarité internationale

Les représentants de certains candidats à l’élection présidentielle française ont débattu vendredi 24 mars sur leur vision de la solidarité internationale et leurs propositions pour l’aide publique au développement. Le débat, animé par la journaliste Audrey Pulvar, a été organisé à l’initiative des ONG Action contre la Faim, Action Santé Mondiale, CARE France, ONE et avec le soutien de Coordination SUD.

Plus de 750 millions de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté et 1 milliard n’ont pas accès aux services de santé de base. En 2015, la France s’est engagée à atteindre les Objectifs de développement durable d’ici à 2030. La même année, elle ne consacrait pourtant que 0,37 % de son RNB à l’aide publique au développement, loin du seuil des 0,7 % promis dès 1970. Dans un contexte où de nombreux défis restent à relever pour le développement, mais où de nombreux engagements internationaux ont été pris, c’est la première fois que les candidats et leurs représentants étaient amenés à se positionner lors d’un débat pendant la campagne présidentielle.

Les intervenants présents étaient :

Christian Cambon, soutien de François Fillon.

Le sénateur a défendu la conditionnalité de l’aide au respect des accords sur le contrôle des migrations en mettant en avant la nécessité de la lutte contre les filières de passeurs clandestins et la montée des extrémismes. “La conditionnalité de l’aide sous-entend un effort de coopération avec les pays qui reçoivent cette aide de telle sorte que nous puissions aussi apporter une réponse au problème très difficile lié à la présence d’immigrés clandestins dont la France ne peut plus accepter la présence sans conditionnalité”. Les ONG déplorent cette conditionnalité qui détourne l’objectif premier de l’aide, à savoir la lutte contre la pauvreté, vers une gestion des flux migratoires et qui va à l’encontre de ses principes et de son efficacité.

Prudent face à l’objectif des 0,7 % du RNB dédiés à l’APD par la France d’ici 2022, il a dénoncé la composition actuelle de celle-ci : “On peut toujours proclamer des chiffres, des engagements, des 0,7 % , mais encore faudrait-il savoir ce que l’on met dans les 0,7 (…) En tant que rapporteur du budget de la coopération (…) je voyais qu’on y mettait de l’aide aux DOM TOM”. Ce discours pose la question de la transparence dans l’utilisation de l’aide publique au développement que la société civile réclame.

S’il a souligné la nécessité d’une augmentation de la part des dons dans l’aide, il souhaite mieux évaluer son efficacité et aller vers une coordination de l’aide publique au développement (notamment des prêts) avec les autres grands donateurs européens (Allemagne, pays scandinaves…).

Concernant les priorités de l’aide pour François Fillon, il a cité l’importance des droits des femmes et de la sécurité alimentaire : “l’aide à savoir s’alimenter, et non uniquement l’aide à s’alimenter, est essentielle”. Il a aussi pris l’exemple du Niger, où “seulement 8 %  des terres sont exploitées“. Priorités que nous partageons.

Nous demandons à M. Fillon de s’engager fermement à atteindre l’objectif de 0.7 % du RNB alloué à l’aide publique au développement d’ici 2022 afin de garantir des financements pérennes, nécessaires pour faire face à ces priorités.

Pascal Cherki, porte-parole de Benoît Hamon. Le député a insisté sur l’importance du devoir des pays donateurs de “passer à la caisse” pour un développement efficace : “ Il y a des décennies, nous avons pris comme d’autres devant la communauté internationale un engagement de consacrer 0.7 % de notre RNB à l’APD. Il appartient donc à la nouvelle génération de responsables de faire tenir à la France ses engagements. Nous consacrerons 0.7 % du RNB d’ici 2022 à l’APD”.

Il a dénoncé la composition actuelle de l’aide. “ Nous avons trop privilégié les prêts par rapport aux dons: il y a des actions qui nécessitent des dons, dans le domaine de la santé, du genre, de l’économie, la culture, l’éducation (…). Nous prenons un engagement : porter d’ici à 2020 à 1 milliard [par an] la part des dons”.

Si Pascal Cherki a parlé de l’importance de la taxe sur les transactions financières pour le développement, car prévisible et pérenne, il a déclaré qu’elle ne pouvait pas se substituer aux autres sources de financement et dénoncé le blocage exercé par les banques françaises sur la TTF européenne.

La politique étrangère de la France ne doit pas, selon lui, se limiter aux opérations militaires : “Pas de sécurité s’il n’y a pas de prospérité partagée”.

Le désengagement de l’administration Trump des institutions internationales, risquant de provoquer un affaiblissement durable du financement multilatéral, est pour lui une raison de plus pour la France de tenir ses engagements internationaux.

 

Nos ONG se félicitent de ses mesures, notamment de l’engagement sur les 0,7% et contre la conditionnalité, en accord avec certaines de nos propositions. Cependant nous appelons Benoît Hamon à s’engager, s’il est élu, à porter la thématique du développement lors d’un moment politique national ou international en lien avec le développement et son financement, afin de mettre la solidarité internationale au cœur des enjeux politiques.

 

Djordje Kuzmanovic, chargé des questions de géostratégie aux côtés de Jean-Luc Mélenchon. L’analyste géopolitique a introduit le programme de la France Insoumise sur la question en paraphrasant Thomas Sankara : “une aide qui aide à se passer de l’aide”. Allant plus loin que l’engagement à 0,7 % du RNB d’ici 2022, il a porté la proposition d’un audit de la dette, dénoncée comme frein au développement.

Les critiques du représentant du candidat se sont également étendues aux traités de libre-échange injustes : à l’occasion d’une question sur la place des droits humains dans le développement, il a déclaré que Jean-Luc Mélenchon avait été le seul représentant politique à “défendre un contre-traité de libre-échange respectant les droits humains et imposant des clauses sociales aux multinationales” en octobre 2016 au Conseil des Droits de l’Homme.

Précisant que son mouvement était contre le conditionnement de l’aide au développement aux accords sur les questions migratoires et le terrorisme, il a déclaré qu’il fallait “sortir de la Françafrique” et demandé à ce que les données de l’APD soient intégralement rendues publiques. Avec l’ambition de “mettre un arrêt aux causes structurelles de la guerre et de la sous-nutrition”, il déclare aussi vouloir “sortir du FMI et créer une nouvelle banque de développement mondiale en renforçant la CNUCED”.

 

Nos ONG se félicitent que le représentant de Jean-Luc Mélenchon se soit prononcé sur une échéance claire concernant l’atteinte des 0.7 % d’ici 2022. Sa vision précisée de l’aide au développement, sans conditionnalité aux intérêts de la France et avec pour seul but la solidarité internationale, semble être celle que nous partageons. Nous attendons donc du candidat de “la France insoumise”, s’il est élu, qu’il respecte ses engagements lors de son mandat en mettant en oeuvre une politique de développement qui soit en accord avec cette vision de la solidarité internationale.

 

Jean-Michel Severino, soutien d’Emmanuel Macron. Pour l’ex-directeur de l’Agence Française de Développement, l’aide publique au développement est “un outil formidable” pour traiter ensemble les défis partagés du “réchauffement climatique, la santé, la sécurité, la stabilité financière et les mouvements de population”. Il n’y a pas de façon de droite ou de gauche de faire de l’APD selon lui :  “la seule façon de faire du développement est de lier l’éthique, le devoir moral et les intérêts partagés“. Et de rappeler : “La solidarité, c’est une exigence fondamentale”.

Monsieur Severino a clarifié et corrigé le positionnement de son candidat au sujet du conditionnement de l’aide à la coopération des pays en matière de politique migratoire. Il a précisé que ces lignes avaient été retirées du programme d’Emmanuel Macron car elles ne reflétaient pas sa vision. Pour autant, il reste ambigu sur l’objectif de l’aide durant le débat sur ce même sujet : “cet instrument permet de venir au secours de populations extrêmement déshéritées mais il permet de résoudre aussi des problèmes qui sont les nôtres et d’éviter aussi dans notre politique intérieure (…) un certain nombre de dérives (…)”. Cette vision “gagnant-gagnant” de l’aide pose la question de sa conditionnalité.

Severino parle d’une volonté de son candidat de rénover la loi sur l’aide publique au développement en concertation avec la société civile. Si l’objectif des 0,7 % lui paraît atteignable, il est important de “tracer un chemin raisonnable de l’aide à la fois en termes d’ambition et de réalisme macro-économique. Ainsi, Emmanuel Macron propose d’arriver à l’objectif des 0,7% d’ici à 2030.

 

Les ONG saluent le retrait du programme d’Emmanuel Macron la mention faite à la conditionnalité de l’aide au développement. Nous espérons que cet engagement sera suivi si Emmanuel Macron est élu, le candidat étant peu clair sur sa vision concernant les objectifs de l’APD. Nous nous félicitons par ailleurs de l’engagement d’Emmanuel Macron d’atteindre les 0.7 % du RNB alloué à l’aide publique au développement mais nous lui demandons de s’engager à atteindre cet objectif d’ici 2022.

 

Nous appelons désormais les candidats à renforcer leurs engagements pour l’aide au développement, notamment en s’engageant à respecter l’objectif, réaliste et nécessaire, de 0,7 % du RNB d’ici 2022. “L’APD permet de lutter contre la pauvreté, d’investir dans les secteurs sociaux ou encore de répondre aux crises humanitaires. C’est le levier premier pour le renforcement et la structuration des sociétés civiles fondamentale pour une gouvernance plus démocratique.” rappelait lors de son discours d’introduction Philippe Jahshan, président de Coordination SUD “La solidarité internationale est un investissement pour la paix. Et comme il est beaucoup question de paix et de sécurité de nos jours, il est temps pour les candidats à la présidence de la République de remettre la solidarité internationale et le développement durable au coeur de ces enjeux.

Le débat dans son intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=vKJEW3YRLb4&list=PLePXIx2mC8TpN3lFiUZME8X89K3F7A-uY&index=2&t=1s